Sorti de chez Walt Disney, il crée son école d’animation. Aujourd’hui, les studios s’arrachent ses étudiants avant même la fin de leur cursus.

Ces deux entrepreneurs, couple dans la vie, ont créé leur propre école d’animation il y a onze ans. Audace, humilité et irrémédiable envie de donner vie à une vision sont autant de qualités qu’ils ont su mobiliser pour faire de leur entreprise une structure remarquée dans la profession, une école d’excellence. Découvrez comment leur complémentarité et leur approche de l’entrepreneuriat leur ont permis de dépasser les obstacles qu’ils ont dû affronter dans leur parcours.

L’Entrepreneur charentais : Pouvez-vous vous présenter ? Nous faire part de votre parcours à tous les deux ?

 

Thomas Debitus : Je suis né le 2 septembre 1971 à Évreux, en Normandie, mais j’ai grandi à Millau, en Aveyron. Enfant, j’étais rebelle et très actif. Je n’étais pas d’accord avec le système en règle général, par principe (rires). Je me rappelle que je dessinais tout le temps. Rapidement, je suis parti dans plusieurs villes. Je suis passé parRodez, puis Toulouse où j’ai fait les Beaux-Arts. Et puis, je suis revenu dans la région de Millau pour y faire plein d’activités différentes, de la bande dessinée et de l’illustration, entre autres. Enfin, j’ai repris des études, à Paris, dans une école en animation qui s’appelait les Gobelins. J’en suis sorti diplômé en 1996. J’ai été embauché directement par Walt Disney Feature Animation, où j’ai commencé à travailler sur Hercule, le film. Ils avaient un studio à Montreuil. Assez rapidement, je suis parti à Walt Disney, à Los Angeles, cette fois-ci, pendant quelque temps. J’avais une spécialité : le dessin mélangé à la 3D, ce qui n’existait pas trop à l’époque. C’est dans les années 2000 que je suis revenu en France. À cette époque-là, Walt Disney a décidé d’arrêter la 2D et de fermer son studio basé en France. Cet événement a toute son importance pour la suite. C’est là que j’ai rencontré Marie, ma femme. En 2002, on a décidé de quitter Paris et de partir à l’aventure en Aveyron ! On n’avait aucun projet. On s’est dit : « On fait un break et on verra ce qu’il se passe. » On a passé un an à se chercher, à vraiment laisser venir toutes les opportunités possibles, à laisser faire la vie. Puis, telle la fable de La Cigale et la Fourmi, l’hiver fut venu et nous nous trouvâmes fort dépourvus… Mais quoi faire ? De fil en aiguille, par accident, je me suis retrouvé à enseigner dans une école… Et là, j’ai découvert une vocation. Ça a été une véritable révélation ! J’ai aimé. C’est carrément mon truc. J’adore ça. Seul bémol, j’étais en désaccord avec l’entreprise dans laquelle je travaillais et je trouvais que l’enseignement n’était pas du tout ce que j’imaginais de l’enseignement de l’animation, de la bande dessinée et de l’illustration. Très rapidement, on est arrivés à l’idée de créer un atelier (d’où le nom), à l’ancienne, d’y avoir des dessinateurs, des élèves autour, et de leur apprendre le travail sur le tas. On a commencé avec des étudiants, il y a douze ans, dans un format associatif. C’est là que l’entreprise a été créée, en réalité.

 

Marie Debitus : Pour ma part, je suis née en région parisienne, le 16 octobre 1976, dans un contexte un peu particulier. Ma famille était arrivée du Cambodge l’année avant ma naissance, en tant que réfugiés politiques. Ils avaient été chassés de leur pays à cause des différents conflits de l’époque. L’intégration de ma famille en France a été difficile : la langue, la culture. Alors mon parcours a été très compliqué

. Le vietnamien était ma langue maternelle. J’ai donc dû apprendre le français très rapidement. J’ai choisi des études artistiques à partir de la troisième. J’ai passé un bac technologique d’arts appliqués avant de poursuivre mes études à Paris, à l’École supérieure d’arts appliqués Duperré. Je voulais obtenir un BTS de stylisme de mode. Puis, n’ayant pas le soutien de ma famille, j’ai repris des études en graphisme et une formation en alternance dans le webdesign, puis j’ai commencé à travailler comme ça dans l’animation à Paris.

 

 

EC : Comment est née cette envie de créer votre entreprise ?

TD : C’est né d’une résistance, d’une frustration. J’avais 30 ans. À chaque fois que je rentrais de l’école où j’enseignais, je me disais que son fonctionnement ne m’allait pas, que le projet pédagogique n’allait pas assez loin, selon moi, etc. Le vrai déclencheur a été ma femme, Marie, qui un jour m’a dit : « Bon, écoute. Là, maintenant, c’est bien beau de critiquer, mais tu ferais quoi, toi ? Et si tu créais ton école, ce serait quoi ? » Le lendemain matin, un jour de juillet 2007, ma décision était prise. Je créais une école et je commençais à recruter des gens.

 

EC : Comment se sont déroulés les débuts ? Et comment êtes-vous arrivés à Angoulême ?

 

TD : On a créé cette école, provisoirement, dans un petit village, juste à côté de Montpellier. On s’était dit qu’on ferait ça un ou deux ans, et qu’on verrait par la suite. Ça a été un succès assez rapide. On a eu de la chance d’avoir nos seize premiers étudiants qui nous ont réellement soutenus dans la création. Puis, on est passé à une quarantaine d’étudiants l’année qui a suivi. Ils arrivaient d’on ne sait où. C’était surtout du bouche-à-oreille. On ne pensait pas qu’il y aurait une suite. On était perdu au milieu de la pampa… C’était roots. Et puis, la troisième année, on a reçu une centaine de candidatures. Et là, on est arrivé aux limites de notre entreprise, au format associatif. En trois ans, l’école avait pris de l’ampleur financièrement, du poids. Ça devenait très compliqué à gérer. C’est pourquoi on l’a transformée en société par actions simplifiée (SAS) en 2010. À ce moment-là, on se dit également qu’on ne pourra pas continuer dans le village où on était. Difficile de se faire connaître, le projet pédagogique évoluait… Il fallait que l’on bouge. On venait chaque année à Angoulême, aux Rencontres Animations Formation (RAF) qui se déroulent en novembre, créées et dynamisées par Magelis. Très vite, Magelis nous a proposé de venir nous installer à Angoulême. Beaucoup de nos étudiants étaient dans les studios localement, et on ressentait une vraie envie de nous aider. Six mois plus tard, on prenait la décision de déménager. On est arrivés à Angoulême en 2013.

 

EC : Peux-tu nous parler un peu plus de l’école ? Le fonctionnement ? Le cursus ?

 

TD : C’est une formation sur trois ans, dont la dernière année peut d’ailleurs s’effectuer en alternance. À cela s’ajoute une année facultative de prépa, en amont. La formation est diplômante, reconnue par l’État de niveau 2, sous la dénomination de chef dessinateur concepteur en cinéma d’animation.

 

EC : Et on y apprend quoi précisément ? Quelle est sa marque de fabrique ?

 

TD : On y apprend un métier. On apprend également à s’épanouir artistiquement. C’est un dur équilibre entre les deux, réellement. La pédagogie est très complexe pour ça. On a des étudiants qui arrivent, pétris de rêves, en pensant faire leur film, devenir le futur Disney, pour caricaturer. Notre boulot est de leur faire comprendre qu’ils pourront, en effet, peut-être, réaliser leurs rêves, mais pour l’instant, il leur faut commencer à penser industrie, à travailler pour une industrie, certes super fun, mais qui comporte ses règles, ses métiers. Depuis que l’on a créé l’école, il y a dix ans, on a 100 % de placement. Tous les étudiants qui passent par L’Atelier trouvent du boulot « le lendemain » de leur sortie. Et même avant, bien souvent. D’ailleurs, ça a toujours été le moteur de L’Atelier. L’enseignement y est dur, rigoureux. On parle d’enseignement d’excellence. Le prix à payer pour aboutir à une professionnalisation, grâce à une pédagogie spécifique. C’est notre marque de fabrique.

 

EC : Combien êtes-vous au sein de l’entreprise pour la gérer ? Quel est le nombre d’étudiants ?

 

TD : Quand on est arrivés à Angoulême, Marie et moi, on était les deux seuls permanents. Et on avait soixante-dix étudiants. On gérait l’école, je donnais des cours, avec une douzaine d’intervenants, des professionnels expérimentés, du terrain, avec les avantages et les inconvénients que cela peut représenter. Très vite, un collaborateur (Xavier) nous a rejoints en CDI. Il était là depuis le début de L’Atelier et a fait le trajet depuis Nantes pour nous suivre dans l’aventure. Puis, a suivi un deuxième collaborateur (Lévi), qui lui, est venu de la région parisienne. On est passé de soixante-dix élèves à cent trente-deux aujourd’hui. On est donc cinq permanents, une trentaine d’intervenants qui viennent de partout, notamment d’Angoulême et de Paris.

 

EC : Vous êtes tous les deux entrepreneurs créateurs d’entreprise et vous avez fondé une famille. Comment avez-vous concilié entrepreneuriat et vie familiale ?

 

TD : Notre enfant avait 1 an quand on a créé l’entreprise. On a essayé de lui donner sa place, de le préserver. Ça n’a pas été évident. Je pense qu’à chaque fois que ça a été dur, on a d’abord pensé à lui (approbation de Marie par un signe de tête, sourires). C’est compliqué de concilier les deux, mais c’est possible. De notre côté, il y a eu des vrais choix, même aujourd’hui, dans notre management et dans notre façon d’approcher l’entreprise. On est peut-être atypiques, mais on s’est organisés pour ne pas avoir à passer quatorze heures par jour dans notre boîte. On s’adapte aux horaires de notre enfant, et cela depuis le début. Par exemple, on va le chercher tous les soirs à l’école à dix-sept heures. Et d’ailleurs, c’est peut-être cela qui nous a préservés, en partie.

EC : Vous avez eu rapidement de la croissance. Alors, une promenade de santé, la création de votre entreprise ? 

 

TD : Oh là là, non. Ça a été difficile. La première difficulté a été financière. On gagnait très peu. On devait être à un SMIC pour deux. Il fallait faire avec, pour une famille de trois personnes. Il fallait travailler à côté pour pouvoir manger. L’enseignement est ultra-prenant. Il a fallu développer énormément d’énergie pour parvenir à tenir cette entreprise. La seconde difficulté a été un manque d’accompagnement complet. On n’y connaissait rien. On ne savait pas comment faire. Au début, on a mis toutes nos économies dans le projet. On a avancé 12 000 euros. C’était quitte ou double. Je me souviendrai toujours qu’on a acheté nos bureaux chez une célèbre marque suédoise et qu’on n’avait pas assez d’argent pour investir dans des ordinateurs. Au départ, c’étaient donc les élèves qui amenaient leur ordi. Il faut dire qu’on était sur des tarifs extrêmement bas au début. On était deux fois moins cher qu’une école privée d’animation. En fait, on ne savait pas comment établir un prix. Le plus dur était d’essayer de construire et de grandir en apprenant tout sur le tas. Je dirais qu’il a fallu trois ou quatre ans pour commencer à être un peu plus confort. L’entreprise ayant pris toute son ampleur et sa stabilité au bout de sept ans.

 

EC : Marie, pourrais-tu nous parler des grands défis de l’entreprise ?

 

MD : Quand l’entreprise a grandi, on a été obligés de déléguer. Et en même temps, c’était notre bébé… Parce qu’il y a un projet de base, on a l’impression que personne ne le comprendra, et on se retrouve à devoir l’expliquer, à le verbaliser. C’est difficile parce que l’on a tout créé d’instinct. Ça faisait des années que l’on fonctionnait comme ça. On avait l’impression de dénaturer le projet, en le normant, pour pouvoir déléguer, justement. Mais on s’est très vite rendu compte que ça le renforçait. Cela a été une vraie prise de conscience, de remise en question. On a été accompagnés par un coach qui nous a aidés à réfléchir sur le fond de l’entreprise, sur le pourquoi de son fonctionnement et sur le versant personnel, également. Cela nous a permis d’avancer.

 

Autre défi, c’est le fait qu’on ait décidé, dès le départ, d’être totalement autonomes financièrement, c’est-à-dire sans subvention et sans aide. Et pour être vraiment autonomes, pour pouvoir expérimenter pendant des années, on ne pouvait pas avoir de tutelle au-dessus de nous, qui nous aurait imposé une façon de fonctionner. Je pense que ça a été un bon calcul, même si ça a été vraiment difficile. Mais c’est ce qui nous a également permis d’être un peu une école pilote aujourd’hui.

 

EC : Si c’était à refaire, le referiez-vous ?

 

MD : Non ! Mais pas du tout (rires). C’est difficile de répondre à cette question (sourires). J’ai toujours saisi les opportunités professionnelles qui se présentaient et je me suis vraiment lancée à 200 % dans cette entreprise. Mais je sens que, personnellement, sur le chemin, je me suis oubliée à un moment. L’entreprise a beaucoup pris. Je lui ai beaucoup donné. Donc si c’était à refaire, je réfléchirais peut-être déjà au domaine de l’enseignement. Aujourd’hui, je ne sais pas si le jeu en vaudrait la chandelle.

 

TD : Absolument (rires) ! Mais de façon complètement différente. Je le préparerais beaucoup plus. Je me préparerais également à avoir plus de détachement et moins d’implication, parce que ça prend énormément de temps et d’énergie. Avoir du recul est beaucoup plus vertueux que de s’impliquer corps et âme dans une entreprise. Mais oui, je le referai parce que la création d’entreprise est quelque chose qui m’a passionné et qui continue à me passionner. Créer et développer une entreprise est une vraie aventure humaine. C’est quelque chose d’hyper motivant.

 

EC : Pour toi, qu’est-ce qu’un entrepreneur ? Qu’est-ce qui le caractérise ?

 

TD : Pour moi, en premier lieu, un entrepreneur doit savoir prendre des risques. C’est peut-être la chose la plus compliquée, en fait. Je ne pense pas que l’on puisse créer une entreprise 100 % sécurisée, ou bien ce ne sera pas forcément une bonne entreprise. Et à la fois, je crois qu’on ne peut pas créer une entreprise en ne prenant que des risques. Un entrepreneur doit savoir évaluer les risques et s’amuser, pour la rendre pérenne.

 

Aussi, sans vouloir être démagogique, je crois qu’une des qualités que doit avoir un entrepreneur est l’humilité. Il ne peut pas détenir la vérité. Je pense que si on arrive à vraiment écouter, à prendre en considération les avis des gens qui travaillent avec nous, on doit pouvoir, justement, prendre les bons risques.

 

MD : Pour moi, l’entrepreneur doit amener une vision et pouvoir la porter, la faire aboutir, au maximum de son potentiel. Et pour cela, parfois, il doit savoir se remettre en question. Quand on tient une vision, c’est pas toujours facile de se regarder, de se dire que l’on est à côté de la plaque et d’accepter de changer cette vision.

 

EC :  Si tu devais comparer ton entreprise à un animal, lequel serait-elle ?

 

TD : Houuuuuu. Un félin. Pour être très actif et pleinement vivre sa vie de félin, il doit se reposer beaucoup (rires). Ça, c’est ce que j’aimerais, en fait. Blague à part, c’est un animal qui prend du recul. Pour avoir une action aussi vive et forte, il faut beaucoup de réflexion, de recul et du repos. Pour moi, c’est le félin.

 

EC : Pour conclure, y a-t-il une phrase, une citation, qui vous aide à avancer ?

 

TD cite souvent : « L’enfer est pavé de bonnes intentions. » Il faut rester alerte.

 

MD : Ce n’est pas une phrase pour moi, mais une valeur, celle de l’honnêteté. Je m’efforce d’être honnête dans ce que je suis en train de faire, envers moi, envers le projet.

 

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