D’où viennent les émotions ? Nature vs culture

Périlleux ou grisant, se laisser submerger par ses émotions est souvent mal perçu dans le cadre professionnel. Rappelle-toi lorsque tu t’es retenu de ne pas embrasser tes collaborateurs suite au carton de ton dernier produit, ou lorsque tu as profondément inspiré afin de conserver ton calme devant l’attitude d’un client.

Animal rationnel (ne se trouve-t-il pas lui-même sapiens, sage ?), l’Homme peut aussi perdre les pédales… pour le pire comme le meilleur.

Aujourd’hui, la science introduit tout de même de la complexité dans ce schéma manichéen et révèle des fonctionnements inédits du cerveau. Enquête au centre du (de ton ?) système nerveux.

Une base universelle ?

Joie, tristesse, dégoût, surprise, colère, peur : au XIXe siècle, on considère que cinq ou six émotions de base seraient communes au genre humain aux quatre coins du globe. Un langage absolument universel, lisible dans les expressions faciales. C’est ce que pensaient Charles Darwin et ses successeurs, dont Paul Ekman, psychologue américain, qui a cru démontrer dans les années 1970 que les hommes de Papouasie reconnaissaient parfaitement nos émotions occidentales sur des photographies1.

D’après cette école, les émotions seraient les évaluations cognitives des situations qui se présentent à nous. Réflexe naturel, l’émotion ne serait ni positive ni négative en soi, mais aurait des fonctions de survie et de communication : si l’amour nous pousse vers les autres pour des besoins reproductifs, l’expression de la colère doit faire réfléchir à deux fois un ennemi qui veut nous attaquer. Cohérent, n’est-ce pas ?

Ce schéma de base est d’ailleurs super bien mis en scène dans Vice-versa, film d’animation (2015) qui nous plonge dans le cerveau d’une petite fille. Son cortex est vu comme une véritable tour de contrôle aux manettes de laquelle les cinq émotions donnent libre cours à leur fantaisie2. Eh oui, même les films pour enfants se basent sur des théories scientifiques !

Un peu de physiologie

Tout le monde l’a remarqué, les émotions sont profondément liées au corps, comme le dit si bien l’expression « avoir la peur au ventre ». Mais alors… Sont-ce les émotions qui entraînent ces réactions corporelles ou bien l’inverse ?

Selon la théorie de James-Lange, les émotions prennent leur source dans des réactions physiologiques. Dans les années 1920, Cannon et Bard s’opposent à cette vision des choses et expliquent qu’émotions et réactions physiques ne sont qu’une seule et même chose. Le thalamus serait en cause, puisqu’il enverrait des messages au cerveau que celui-ci traduirait en émotions3. Richard Lazarus, enfin, pensait le contraire. D’après sa théorie de l’évaluation cognitive (1984), si tu vois un serpent, la pensée qu’il peut te faire du mal te conduit à des réactions de peur bien connues (palpitations cardiaques, transpiration…).

Scepticisme…

À considérer ces théories, les scientifiques d’aujourd’hui froncent les sourcils sous le coup d’un sentiment qu’ils connaissent bien : le scepticisme. Car ils ont fini par remarquer que les réactions corporelles des émotions changent d’un continent à l’autre, voire d’une personne à l’autre. La neuroscientifique et psychologue Lisa F. Barrett a bien observé que ses confrères, découvrant ses idées novatrices, devenaient subitement blancs ou rouges, flanchaient ou l’invectivaient, mus par une seule émotion : la colère.

Pour preuve : si les émotions nous protégeaient systématiquement du danger, les fumeurs arrêteraient immédiatement de s’en griller une pendant la pause en lisant « fumer tue » sur leur paquet de clopes… – d’autant plus qu’ils sont généralement d’accord avec cette salutaire mise en garde4.

La neurobiologie entre en scène

Ainsi, selon Lisa F. Barrett, les émotions ne seraient pas innées, mais le produit d’un apprentissage culturel lié à l’éducation. Ce qui existe dans le cerveau, ce sont les « affects ». Les émotions, elles, n’existent que quand elles sont perçues par la société, puis nommées. La mémoire joue un rôle crucial dans ce processus, car plus ces expériences sont répétées, plus elles sont vivement ressenties et identifiées – une véritable « madeleine de Proust »5 ! Barrett montre qu’expression des émotions et émotions, c’est tout un.

Les données de neuro-imagerie prouvent par ailleurs que, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, les hémisphères du cerveau n’ont pas de spécialités dans la production des émotions. Oublie ton hémisphère droit sentimental et ton hémisphère gauche froidement raisonneur ! L’ensemble du cerveau est suffisamment bien habitué par son milieu culturel pour reconnaître les émotions et les produire en retour6.

Le secret ? Ce qui se joue en nous, ce n’est pas l’éternel conflit entre raison et émotions, mais notre relation à notre environnement qui s’incarne dans les émotions. Les implications font réfléchir : par exemple, le système judiciaire repose sur la présomption que juges et jurés sont dépourvus d’émotions, tandis que l’accusé, homme rationnel, s’est peut-être laissé submerger par elles. Un modèle qui pourrait bien exploser après ces récentes découvertes.


1 Source : www.psycnet.apa.org
2 Source : www.cortex-mag.net
3 Source : www.books.openedition.org
4 Source : www.journals.openedition.org
5 Source : www.erudit.org
6 Source : www.science.org

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